Aux marges de l’océan Indien











Sur les rivages indiens, le premier choc n’est pas celui des yeux mais du nez. L’air, lourd de poissons, se mélange à mille senteurs inconnues. Le souffle est rude, presque brutal, avant de se dissoudre dans la fête des couleurs. Alors, l’œil prend le relais. Tout devient matière : bois des barques rongé par le sel, murs creusés de fissures, bâches effilochées par le vent, tissus éclatants suspendus au soleil. L’usure elle-même raconte la vie. L’érosion devient mémoire.
Ici, les hommes sont réglés par la mer. A l’aube, ils partent au large, silhouettes noires contre le ciel blême. Au crépuscule, ils reviennent, le corps encore secoué par la houle. L’après-midi, les filets sont repris, les coques colmatées. Les femmes tiennent les marchés, gardiennes de la pêche du jour. J’ai photographié ces scènes haletantes où tout bouge : gestes innombrables, fouillis des arrières-plans, densité des couleurs. Chaque image ressemble à un puzzle qu’il faudrait assembler d’un seul coup d’œil.
Puis vient la torpeur. Quand la chaleur écrase les ruelles et que les étals se vident, le silence s’installe. Dans cette accalmie, le monde se prête à une autre lecture : murs tachés, ombres étirées, fragments de couleur qui composent un tableau involontaire. Alors je ralentis. La photographie se fait contemplation. Ici, un paysage documentaire. Là, un portrait. J’inscris ces visages dans leur décor, comme si je voulais retenir à la fois l’homme et ce qui l’entoure. Car c’est l’alliance des deux qui raconte l’histoire.
En quittant ces rivages, je garde en mémoire la rumeur de la mer mêlée aux voix des marchés. Rien n’y paraît immuable, et pourtant tout semble se rejouer depuis l’aube des temps. Mes images ne sont qu’un fragment, un témoignage de ce cycle sans fin : des vies dressées face à l’immensité de l’océan, et de ceux qui, chaque jour, en façonnent le quotidien.